C’est après longue réflexion que je me suis décidée à partager un moment d’intimité dans une sophrologie totale et inconditionnelle.
Un récit d’une grande transparence et limpidité, l’épisode de mon accouchement. Une narration vouée à elle-même, écrite sous une forte poussée d’hormones altruistes .
Cela se passe comme une émeute, comme un tremblement de terre..
L’émeute des rebelles, prêts à tuer n’importe qui sur leur passage. La joie mêlée à l’excitation, la solitude et l’appréhension de la douleur agonisante .
A 4 du matin, après ces ressentis, nous appelions un taxi. Cm, était là, aguerri mais surtout à moitié endormi. Mon ventre rond comme la terre était bas, chose improbable depuis le début. Un petit ventre replié sur lui-même, honteux et confus. 25 minutes de trajet pour arriver à l’hôpital B, des vagues cruelles, des contractions et une migraine.. 25 minutes de pensées douteuses, comme nager dans un marécage d’encre de seiche. De la fenêtre, je percevais la seine gracieuse et noire, silencieuse, qui s’entremêle aux chuchotements de Cm avec le chauffeur de taxi, je passais un compromis discret avec des murmures inconnus jusque-là. Un dédoublement improbable du moi, du moi présent, et du sur-moi. Un cours de philosophie dansait en silence.
Arrivés aux urgences, il me tenait la main pendant que je dandinais prête à pondre ce chef d’œuvre dûment conçu 9 mois en moi. C’est avec une fine délicatesse que je jetais mes habits par terre et me jetais toute entière prête à recevoir ma péridurale tant redoutée.
Une parfaite combinaison d’indignité et de soulagement face à cette péridurale qui imprègne les lombaires et paralyse les membres inférieurs. Ouverte déjà à 4 centimètres, je ne pouvais plus suffoquer, mon corps criait à la rescousse et mon mentale d’acier commençait à fondre, bien qu’il espérait vivre un accouchement sauvage et sans cette foutue péri..
J’accueillis à bras ouvert, mais surtout à dos nu, cette hantise consentie de la péridurale, l’allégorie du cobra s’enroulant autour de mes vertèbres.
Tout s’estompe, la douleur, les gémissements, tout.. Je vivais en parfaite harmonie avec mes membres prêts à expulser ce corps vivant en moi, ce corps étranger qui puisait dans mes ressources.. à dieu l’adage biblique du < tu enfantera dans la douleur >
Je vivais dans une bulle multicolore, béate avec mon anesthésiste dont le téléphone sonnait au rythme BB King. Je lui avais demandé de tamiser la lumière de la salle d’accouchement, puisqu’elle dégivrait mon froid naturel. Il s’accroupit devant moi, prenait mon pouls et ma pression, je lui balançais à la figure et d’un ton presque euphorique : » connaissez-vous l’histoire de la création de la péridurale ? »
L’anesthésiste qui, même en 30 ans de carrière, ignorait la réponse à cette question imaginée par une patiente jambes en l’air criant de désir pour une dose secondaire de cette morphine magique.
Il infirme, d’un sourire gêné. Je saisi alors l’occasion pour détendre l’atmosphère déjà très extatique. » Pour tout vous dire, l’analgésie péridurale a été inventée en 1880 par un médecin américain, qui eut l’idée d’injecter ainsi de la cocaïne à l’un de ses patients souffrant de masturbation compulsive.. » Il rigole et me tapote amicalement puis médicalement la jambe gauche.
Déjà 9 h du matin, 3 interminables heures assommantes de jambes en l’air, de contractions plus houleuses les unes que les autres. De violents pics électriques me pinçaient le corps. A 14 h, cm gisait par terre, assommé par cette nuit monotone de travail de mon col, meurtri de voir un état second de sa petite femme. Je voulais tellement qu’il assiste à mon accouchement, ne pas être la seule charcutée émotionnellement, et puis, il en est pour quelque chose non ?
16 h..
« Col ouvert à 10 centimètres, nous pouvons commencer »
Un orage de courage et de bravoure, une tempête de peur, l’appréhension de 9 mois d’attente, un rendez-vous avec ma petite chose, mon petit scarabée, qui en moi, nous deux.. Avions parcourues terres et mers.
Les effets de la péridurale s’estompaient, j’avais demandé de l’arrêter, je commençais à ressentir une boule poilue, mon corps pénétrait la trance de la vie, il se hissait, hypnotisé, léthargique, presque inhumain. La mort était à mes côtés, et mon mari restait là, tétanisé par ce spectacle d’horreur et de bain de sang.
Une descente lente du corps, tout mon corps qui s’ouvre dans cette ultime acceptation de l’affliction de la vie. Des poussées continues avec une concentration divine. J’étais noyée dans mon déchirement, les larmes aux yeux, invoquant mille et une éloges.
Les artifices tombent & La nature prend place dans cette salle indéniablement avec l’alliance parfaite du délice et de l’amertume.
Une odeur chaude, l’arôme chaste. Les murs suintaient la vie, dans un assortiment fusionnel de cris de ma fille, mon pleurnichement et l’émerveillement de Cm. M’embrassant la tête comme pour me remercier.
Mon corps devenu dépeuplé, une sensation de dépaysement mais surtout un ventre vidé me vient à l’esprit. Un accouchement Sans péridurale à la fin ni épisiotomie se hurle sur les toits.
J’avais sur ma poitrine une petite personne bouillante, couleur rose, qui transpirait le neuf. Il y’eu une différence de longueur d’onde, ne pouvant réaliser cet accomplissement dûr , de 14 heures de lassitude et d’exténuation et que, enfin, je suis devenue maman.
A maman , A Toutes les mamans ,
Aux femmes ..
Images : Amanda Greavette